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Evariste – François-Henri Désérable

Evariste – François-Henri Désérable

Comment choisissez-vous vos livres ?

Chaque année, des centaines d’ouvrages sont proposés aux libraires et mis en rayon. Deux rentrées littéraires, des interviews, des images et des millions de mots lancés à tout va dans les médias pour tenter de nous convaincre. Impossible de tout lire, même pour quelqu’un qui y passerait littéralement sa vie, oubliant de manger et dormir. Il faut donc faire un choix.

Auriez-vous misé sur Évariste ?

La biographie d’Évariste Galois, version minimaliste

Dans le cas de ce livre, je ne suis pas influencée par la couverture. Collection blanche de Gallimard. Cette couleur sobre est censée être un gage de qualité et de haute voltige littéraire. Sauf que la haute voltige, parfois, donne mal au cœur.

Le sujet peut-être ? Oui certainement. Il s’agit de la biographie d’Evariste Galois, mathématicien génial dont j’ai croisé le nom lors de mes études et qui, à l’époque m’avait fait bien moins bonne impression qu’aujourd’hui !

Mais bon. J’hésite quand même. Il a y eu un tel raffut autour de ce livre à sa sortie. Et ce genre de tapage a tendance à m’éloigner. Je l’emprunte finalement à la bibliothèque. Me voilà sceptique. Comment résumer une vie, si courte soit-elle, en 167 pages ? D’autre part, j’ai entendu dire qu’on y parlait surtout de la vie de l’homme, et très peu de mathématiques. Dommage, j’avais espéré comprendre sur un tard ces histoires de résolution d’équations qui m’avaient échappé il y a des années.

D’ailleurs, l’auteur du livre explique la raison d’une telle absence :

« Il me faudrait la vulgarisation de la vulgarisation pour y piger quelque chose. »

Finalement, après un ou deux chapitres (par ailleurs très courts), je suis conquise ! Plusieurs biographies ont été écrites sur Evariste Galois mais celle-ci est unique. 167 pages, c’est peu, mais l’essentiel y est.

Un condensé de style, d’Histoire et de science

Ce livre est un condensé de ce que j’aime : un style teinté d’humour subtil, une page d’Histoire, des sciences, de la littérature, une touche de peinture… Magnifique.

Dans ce roman, vous croiserez les grandes figures de la première moitié du XIXe siècle, cette époque où la monarchie tente de reprendre ses droits face à une République qui se cherche. La révolution est encore récente, il est si facile de mettre le feu aux poudres. Evariste Galois s’enflamme, c’est un républicain passionné, il provoque, fait de la prison, tombe éperdument amoureux. Au fond de son cachot, au milieu de ce cahot, il écrit sa théorie, « point d’orgue d’une vie qui fut un crescendo inquiétant, tourmenté, au rythme marqué par le tambour de passions frénétiques jusqu’à l’effondrement final ».

Incompris et ignoré par ses contemporains, il lègue un héritage à l’origine des mathématiques modernes. A vingt ans. Pas mal, non ?

Provocateur et sans détours

Quant à l’auteur, François-Henri Désérable, nul doute que son jeune talent nous réserve encore de belles pépites. Son style pourrait être celui d’Evariste : provocateur et sans détours. Son narrateur est insolent, délicieusement agaçant ; il interpelle le lecteur, qu’il imagine lectrice et demoiselle et qu’il ne ménage pas toujours. Ses phrases capturent l’essentiel des vies humaines et l’ambiance d’une époque. Et voilà qu’en 167 pages vous saisissez le message, vous comprenez l’urgence animant ce génie méconnu qui jouait avec les nombres comme les grands romanciers jouent avec les mots.

Une dernière chose… Cherchez donc un portrait d’Evariste Galois sur Internet. Cherchez ensuite la photo de François-Henri Désérable. Rien ne vous frappe ? Si comme le célèbre mathématicien, ce dernier cherche à marquer son temps, léguer une œuvre, laisser une trace, eh bien, il est sur la bonne voie !

« il n’est pas mort. Il est tout entier dans les pages qu’il nous a laissées. »

Difficulté de lecture : **

Évariste est pour vous si :

  • Vous aimez les mathématiques. Ou pas.
  • Vous aimez l’histoire de France
  • Vous aimez l’insolence

Le petit plus : cette description magistrale de l’un des plus célèbres tableaux du patrimoine français. Je n’en dis pas plus, ce serait vous gâcher le plaisir.

***

Editions Gallimard, 2015

ISBN : 978-2-07-014704-5

167 pages

Au revoir là-haut – Pierre Lemaitre

Au revoir là-haut – Pierre Lemaitre

Au revoir là-haut – Pierre Lemaître

Ce livre m’a rendue triste.

Triste parce que je l’ai lu trop vite.

Et que, maintenant, je repense avec nostalgie à ces moments où il dormait dans ma pile sans que je l’aie encore découvert. J’allais avoir une belle surprise.

L’histoire : Albert et Edouard sont des poilus de la Grande Guerre. On suit leur parcours après le conflit, tout au long de la démobilisation et des hommages rendus aux soldats par « la nation reconnaissante ». Ils montent alors une grande escroquerie… Mais ceci n’est qu’un pâle résumé. Blafard. Lisez plutôt le livre.

Pierre Lemaitre s’est fait connaître par son art du thriller. Dans « Cadres noirs », « Alex », « Travail soigné » et autres, l’auteur s’y entend pour faire monter la tension. C’est noir et effrayant, sans en faire trop. Savant dosage d’action et de terreur psychologique. Ceux qui aiment le genre apprécieront, je ne me souviens pas d’une critique vraiment négative.

Quand une telle virtuosité se met au service d’un récit plus profond, dont les racines puisent au cœur de notre histoire, la plus douloureuse car encore terriblement récente, cela donne un prix Goncourt. Mieux : un livre reconnu par les experts, certes, mais aussi par le public. Par ces milliers de lecteurs, qui, comme moi, se méfient des récompenses attribuées par les lettrés et ne croient qu’à la fièvre qui les saisit lorsqu’ils prennent un bon roman et ne peuvent plus le lâcher. Rallier ces deux camps opposés est sans nul doute un tour de force.

L’auteur prend le parti d’exposer tous les points de vue, les pensées de tous les personnages, parfois même ce qu’il adviendra d’eux. Il dévoile tout. Du moins c’est ce qu’on pense. En réalité il cache l’essentiel, qu’il distille savamment dans les pages qui suivent. On se fait prendre une ou deux fois, puis on se méfie. Le suspense augmente. C’est très bien fait.

Les protagonistes avancent dans le récit, chacun avec ses propres motivations et objectifs. Et lentement se construit une « situation explosive à allumage progressif. » Le final est détonant.

J’ai été triste également pour Albert et Edouard,

auxquels on s’attache, bien sûr, dès les premiers mots.

Ce sont des poilus qui ont rampé dans les tranchées et côtoyé la mort de près, trop près. En novembre 1918, le roman commence et la guerre se termine. Nos deux soldats seront bientôt démobilisés. Et leur combat pour survivre continue, plus âpre que jamais.

Pierre Lemaitre est doué pour le suspense ; il excelle aussi dans la manière de créer des personnages et leur donner vie. Au fil des pages vous vient l’impression de connaître les deux soldats, comme des cousins éloignés. Ils pourraient être vos ancêtres.

Albert le vulnérable, un peu simple mais d’une générosité sans limites. Edouard l’héroïque, provocateur et créatif. Pradelle dont toute l’énergie et les actions sont tendues vers un seul but : faire fortune et restaurer le pouvoir de sa famille. Malheur à qui se trouve sur son chemin. C’est le méchant dans toute sa splendeur, beau et opportuniste, qui donne du relief aux péripéties de nos anciens poilus. Qu’il apparaisse, que son seul nom soit évoqué et l’angoisse monte d’un cran.

Et tant d’autres encore, pittoresques à souhait. J’en jubile encore.

Et puis, cette guerre m’a rendue triste.

Il existe nombre de romans qui décrivent l’horreur de ses combats, l’absence de scrupules des commandements, l’incurie des gouvernements d’alors. Peu ont abordé la laideur des années qui ont suivi.

« C’est décourageant, quand on y pense, de s’être battu pour un résultat pareil. »

Le roman prend parfois des allures de caricature, tant est choquante la noirceur qu’il décrit. Pourtant, à bien y réfléchir, on se dit que oui, pareilles infamies ont dû exister. Le temps qui passe et les manuels scolaires lissent les évènements, les rendent tout noirs ou tout blancs, le bien et le mal, les erreurs des uns, l’héroïsme des autres. A nous faire oublier que la nature humaine balaie toutes les nuances de gris.

Quelques recherches sur Internet m’ont fait considérer un œil nouveau les cimetières militaires, leurs croix immaculées et bien alignées, leurs allées rectilignes à l’impeccable gazon. Si le cœur vous en dit, voici deux articles intéressants (et édifiants), à ne lire qu’après avoir terminé le roman : Article 1 / Article 2

Pour résumer tant de tristesse, je dirais que:

« Au revoir là-haut » m’a tout simplement enthousiasmée !

S’il m’arrivait un jour d’oublier pourquoi j’aime la littérature, je n’aurais qu’à le relire. Que les puristes de la critique littéraire me pardonnent ! Lorsqu’un livre m’a à ce point captivée, je ne sais pas me modérer. Je n’en ai pas non plus l’envie.

Difficulté de lecture : ** (c’est un Goncourt dont la lecture n’est pas douloureuse. Le style est là, beau comme on aime et, surtout, sans nuire à la compréhension)

Ce livre est pour vous si :

  • Vous voulez regarder l’Histoire dans le blanc des yeux, et voir s’y refléter ses horreurs et ses bassesses
  • Vous aimez le suspense bien construit
  • Vous voulez écrire. Il n’existe pas de meilleure manière d’apprendre que d’observer les grands maîtres (sans mauvais jeu de mots). Chez l’auteur, pas de clichés. C’est l’un des rares qui parviennent encore à séduire le lecteur par ses métaphores, précises, inédites et sans surdose.

Le petit plus : le film d’Albert Dupontel, qui sort en France en octobre 2017 et sera sans doute très réussi. Je le verrai dans quelques mois, histoire de savourer longtemps l’ambiance du livre sans lui surexposer des images qui ne sont pas les miennes.

D’autres titres liés à la Grande Guerre :

  • Les Croix de bois (Raymond Dorgelès) – Pour moi, un autre coup de cœur !
  • Le Réveil des Morts (Raymond Dorgelès) – cité par Pierre Lemaitre dans sa postface
  • Le Retour d’Ulysse (J. Valmy-Baysse) – également cité dans la postface
  • A l’ouest rien de nouveau (Erich Maria Remarque)
  • Le Feu (Barbusse), autre prix Goncourt, en 1916
  • Les romans de Max Gallo, dont : 1914, le destin du monde / 1918, la terrible victoire

N’hésitez pas à partager vos lectures sur le sujet et nous donner d’autres titres, les commentaires sont faits pour ça!

***

Editions Albin Michel, 2013

ISBN : 978-2-226-24967-8

567 pages

Prix Goncourt 2013

Et plusieurs autres prix littéraires en 2013 et 2014

Littérature française

Mémoires d’Hadrien – Marguerite Yourcenar

J’ai acheté ce livre il y a fort longtemps, parce que j’aime l’Histoire et que les empereurs romains me semblaient balayer toute la gamme des comportements humains, de la pire folie à la plus admirable clémence. Le livre a mûri des années dans une pile, car quand même, pour lire un classique, il faut du temps et le bon état d’esprit. La lassitude des fins de journée me portait plutôt vers les thrillers et les romans faciles.

Et puis, le fait de lancer et alimenter ce blog m’a conduite à revisiter mes réserves de lecture. L’envie de découvrir l’empereur Hadrien et l’académicienne Yourcenar était intacte. L’œuvre m’a offert deux belles rencontres.

Hadrien

Rencontre avec Hadrien, empereur romain connu pour son esprit et ses réalisations. L’homme est diablement intelligent, féru d’architecture, d’arts et de lettres, passionné par la culture grecque, habile pour mener la guerre et surdoué pour conclure la paix.

Le livre est une lettre présumée qu’il écrit à son successeur (le futur Marc Aurèle), dans laquelle il transmet ses réflexions, partage ses motivations, retrace les grandes étapes de sa vie et en fait le bilan.

Hadrien a œuvré pour Athènes qu’il adore, Rome et son empire. Il a parcouru ce dernier pendant ses vingt ans de règne, y réglant les problèmes, construisant ici routes et aqueducs, érigeant là une ville entière ou bien y restaurant temples antiques. On lui doit notamment la forme actuelle du Panthéon de Rome, ce magnifique dôme percé en son sommet et dédié à tous les Dieux. Il fut à l’origine du château Saint-Ange, dans la même ville, qui devint, dans sa forme primitive, son mausolée.

Il réforma le code romain, le clarifia, améliora la condition des esclaves, des femmes ou des classes dites inférieures.

« Une partie de nos maux provient de ce que trop d’hommes sont honteusement riches, ou désespérément pauvres. »

Mais son objectif essentiel était sans conteste d’établir et pérenniser la paix au sein de l’empire. La fameuse Pax Romana. Sa première action fut de stopper la politique conquérante de son prédécesseur Trajan, d’abandonner les territoires impossibles à sécuriser, figer les frontières et établir de bonnes relations avec les voisins immédiats.

Alors c’est vrai, il a construit un mur. Le célèbre « mur d’Hadrien » à l’actuelle jonction entre l’Angleterre et l’Ecosse. Il a également renforcé les fortifications d’Europe centrale. Mais ces constructions semblent moins agressives que certains murs tristement actuels. Il s’agissait avant tout de sauvegarder la paix, et parfois même, de donner une base aux échanges avec les populations qui vivaient au-delà. S’il fallait une guerre, elle ne serait que défensive.

« Ce rempart devient l’emblème de mon renoncement à la politique de conquête »

Bien sûr, Hadrien fut empereur. Empereur romain. Ce qui le rendit souvent autoritaire, voire rancunier et cruel. Ne nous trompons pas d’époque. Il élimina certains rivaux d’une manière fort peu louable. Vers la fin de son règne, il combattit sans pitié les juifs de Jérusalem, n’étant pas acquis au monothéisme et lui préférant la liberté de culte, qu’il soit antique ou plus récent.

« Je ne le nie pas : cette guerre de Judée était un de mes échecs (…) je n’avais pas su être à temps assez souple ou assez ferme. »

Mais à l’heure de désigner son successeur, il eut à cœur de choisir un homme qui poursuivrait son action pacifique. La guerre reviendrait encore et encore dans le futur, mais il espérait qu’elle alternerait avec des périodes de paix salutaires.

J’ai découvert dans ce livre une sagesse humaniste et éclairée, une lucidité appliquées à toutes les étapes de la vie, jusqu’à la plus ultime.

« Je suis comme nos sculpteurs : l’humain me satisfait ; j’y trouve tout, jusqu’à l’éternel. »

Sont-elles réellement celles d’Hadrien ? Ou ont-elles été adroitement remodelées par l’auteur ?

Question légitime. C’est là qu’intervient la deuxième rencontre.

Marguerite Yourcenar

Je ne connaissais d’elle que son nom.

J’ai rencontré son écriture, qui emprunte aux styles d’antan sans s’encombrer de leurs lourdeurs. Aucun cliché dans ses lignes, mais des phrases incroyablement précises, qui marquent l’esprit et sont souvent d’une grande poésie.

J’ai perçu l’immense travail de recherche derrière cette œuvre. Hadrien a vécu au IIe siècle de notre ère. Les informations à son sujet sont donc peu nombreuses et obscures au profane. Une note, à la fin du livre, indique les sources utilisées par l’auteur. Elles sont très diverses, allant d’œuvres anciennes évoquant Hadrien directement ou non, aux inscriptions et sculptures que l’empire a laissé sur ses bas-reliefs. Un travail de fourmi donc, qui a permis à Marguerite Yourcenar d’être au plus près de l’empereur, et le pousser à parler, penser, se souvenir et réfléchir comme il aurait pu le faire.

A la suite des « Mémoires d’Hadrien », l’édition Folio propose les carnets de notes de l’auteur qui y expose ses doutes et ses interrogations, ainsi que la genèse du livre. Une mine d’or pour qui s’intéresse à l’exercice difficile de la biographie.

« Quoi qu’on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c’est déjà beaucoup de n’employer que des pierres authentiques. »

Vous l’aurez compris, ce classique est un coup de cœur. Pas facile à lire, certes. Mais tellement riche. J’ai pris soin de relever la bibliographie de Marguerite Yourcenar afin de ne pas en rester là…

Si vous avez lu ces « Mémoires d’Hadrien » n’hésitez pas à partager votre expérience dans les commentaires. Que vous ayez aimé ou non. Je ne suis pas aussi intransigeante qu’un empereur romain.

Difficulté de lecture : ***

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez la grande Histoire
  • Vous vous sentez l’âme humaniste
  • Vous aimez la belle écriture, celle qui résiste un peu, puis vous comble de plaisirs littéraires

***

Paru aux éditions Gallimard en 1974

(Librairie Plon en 1958 pour la première édition)

ISBN : 978-2-07-036921-8

364 pages

L’étrangère – Valérie Toranian

Aravni est une grand-mère atypique. Elle parle un très mauvais français, cuisine des plats terriblement lourds et fascine sa petite-fille, narratrice et auteure du roman. Car Aravni est arménienne. Etablie depuis longtemps dans la capitale française, elle défend pourtant sa culture avec vigueur face aux manières toutes parisiennes de son entourage. Elle porte un lourd passé ; c’est une rescapée du « génocide arménien ». Que cache donc cette vilaine expression ?

C’est ce que Valérie Toranian tente de mettre à jour, malgré le silence pudique de son aïeule. Par les questions qu’elle lui pose, l’auteure découvre peu à peu ses racines arméniennes, tiraillée entre ses deux familles, l’occidentale et l’orientale. Les deux histoires, celle de la grand-mère, celle de la petite-fille, sont étroitement imbriquées tout au long du livre. Elles se rejoignent et s’entremêlent.

La vie d’Aravni est tragique et déroutante. Le roman met en lumière les comportements des uns et des autres et le lourd héritage légué aux descendants.

Cent ans après les faits, les Arméniens se battent toujours pour que soit reconnu le génocide.

« Je voudrais être juive parce que c’est comme être arménien avec la reconnaissance en plus. (…) Le fait que les Turcs refusent jusqu’à aujourd’hui de reconnaître le génocide des Arméniens rend fou. »

Comme beaucoup, vous en avez peut-être entendu parler, sans vraiment en connaître les détails. Voici l’occasion d’entendre la voix d’un peuple méconnu et de mieux comprendre le conflit historique qui l’oppose aujourd’hui à la Turquie. Le 24 avril est jour de commémoration et 2015 fut l’année du centenaire (le livre est sorti peu après cette date)

Le roman propose également une réflexion sur la genèse des exterminations de masse.

« L’entreprise d’extermination totale passe par la déshumanisation des victimes : faites-en des animaux, hagards, prêts à tout pour survivre (…)

Ma grand-mère, drapée dans son admirable orgueil, son diplôme collé à la peau  refusait de devenir la bête qu’ils voulaient qu’elle devienne. »

Qui ne s’est un jour posé cette question : « comment de telles horreurs peuvent-elles être commises ? justifiées ? ou simplement imaginées ? » Le livre fait bien sûr écho à ce que l’Europe a connu quelques années plus tard, à d’autres terribles convois de la mort. Autre peuple, autre période, même souffrance.

Et cette Histoire, qui, aujourd’hui encore, ne cesse de se répéter…

Difficulté de lecture : *

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez les témoignages romancés
  • Vous voulez en savoir plus sur cette page sombre du vingtième siècle
  • Vous êtes curieux de la lointaine Arménie. Vous découvrirez dans le livre un peuple et une culture colorés, aux valeurs fortes et persistantes

Le petit plus : les tire-bouchons, biscuits salés en forme de tresse cuisinés par la grand-mère, et que la narratrice adore.

***

Paru aux éditions Flammarion, 2015

ISBN : 978-2-0813-6329-8

238 pages

Littérature française

Grand prix 2015 de l’héroïne Madame Figaro

Kamouraska – Anne Hébert

Voici une histoire mille fois racontée, mais exposée ici d’une manière inédite et avec beaucoup de talent. Un triangle amoureux. Elisabeth est au chevet de son mari mourant, très affectée, non par sa situation immédiate mais parce que celle-ci fait écho aux évènements de sa vie antérieure. Elle a été mariée une première fois, il y a longtemps. Elle a trouvé l’amour et l’a perdu, d’une terrible façon. Elle se souvient…

Le tout se passe au Quebec, dans le courant du XIX siècle, une époque qui a contribué à bâtir le pays d’aujourd’hui. Kamouraska (« Il y a un jonc au bord de l’eau » en algonquin, langue de l’ancien peuple amérindien du même nom) est une seigneurie sur la côte sud du Saint Laurent, au nord de Quebec. Le lieu a existé, existe toujours. D’ailleurs, l’histoire s’inspire de personnages réels, dont les noms ont été subtilement modifiés.

Elisabeth est écrasée sous la pression sociale d’une communauté ne laissant aucune liberté aux femmes, qu’elles soient ou non de bonne famille. « Les liens du mariage, c’est ça. Une grosse corde bien attachée pour s’étouffer ensemble. » Elle se rebelle pourtant, pour son plus grand malheur. Courage d’une époque révolue, étrangement actuelle !

Le récit est un grand flash back, mais n’est pas construit de façon classique. Epuisée à force de veiller son époux malade, l’héroïne s’effondre de fatigue et d’angoisse. Angoisse liée à son passé. Elle sombre dans une semi-conscience et se remémore. Ses souvenirs sont présentés comme un immense cauchemar qu’elle tente d’orienter et de freiner pour retarder la revisite de ce moment brutal où sa vie a basculé. Les images se succèdent dans le désordre, mêlant passé et présent, confondant les lieux et les personnages. La lecture est au premier abord plutôt déroutante. Nous sommes là dans l’univers des émotions et il faut accepter de lâcher prise. Il faut renoncer à maîtriser chaque mot lu et se laisser emporter.

« C’est à cause de la lumière. (…) Ces images monstrueuses, aiguës comme des aiguilles. C’est dans ma tête qu’elles veulent s’installer. Me tourner de côté, ouvrir les yeux. Ne pas leur permettre de prendre racine, les arracher de mes yeux, ainsi qu’on extirpe une poussière. Je n’arrive plus à bouger. Mes paupières sont lourdes. Semblables à du plomb. Ce doit être la poudre du docteur. »

Et lentement l’histoire progresse, un certain suspense s’installe. Les pensées fugaces s’ordonnent en mémoire et reconstituent ce pan de vie gâchée.

Le style d’Anne Hébert est ardu, mais diablement efficace. A la fois poétique et sans concession. Une magnifique découverte !

Difficulté de lecture : ***

Ce livre est pour vous si :

  • Vous avez une âme romanesque
  • Vous aimez les ambiances d’antan
  • Vous n’êtes pas rebuté par les styles diffus

Le petit plus : ce voyage en traineau dans l’hiver canadien, le long des rives du Saint Laurent, les mains glacées et la tête dans la poudreuse !

Le mot inédit : les ouaouarons ! Ce sont les plus grosses grenouilles d’Amérique du Nord. On les appelle aussi grenouilles mugissantes, en raison de leurs cris graves et sonores.

L’auteur : Anne Hébert est un auteur emblématique de la littérature québécoise. Née en 1916, disparue en 2000, elle fut à la fois romancière, poétesse, dramaturge et scénariste. Elle nous a laissé de nombreux romans, dont « Les Fous de Bassan » qui lui ont valu le succès en France, sous forme du prix Femina en 1982.

***

Paru aux éditions du Seuil, 1970

ISBN : 978-2-7578-0399-8

246 pages

Prix des libraires en 1971

Littérature québécoise