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A la grâce des hommes – Hannah Kent

Depuis qu’un volcan au nom bizarre a paralysé la moitié de l’Europe pendant plusieurs jours, l’Islande, cette île froide de l’Atlantique Nord, connaît un succès grandissant. Malgré les rigueurs de son hiver, c’est devenu une destination touristique à la mode.

Mais que sait-on de l’histoire islandaise ?

C’est d’abord une terre Viking où se trouve établi l’Althing en 930, que l’on peut considérer comme le plus vieux parlement européen. La nation islandaise est créée mais finit par tomber sous domination norvégienne puis danoise. Elle s’affaiblit jusqu’au milieu du XIX siècle, période qui marque le début du renouveau. L’Islande ne retrouve son indépendance qu’en 1944.

C’est donc au plein cœur d’une période d’extrême pauvreté que nous découvrons les protagonistes du roman « Burial Rites », dans son titre original. L’île est une terre sauvage, fréquemment balayée par le blizzard, dont la plupart des habitants ne font que survivre dans des fermes frustes et isolées. Agnes Magnúsdóttir, simple servante de son état, est reconnue coupable de l’assassinat de son amant au terme d’un procès douteux. Condamnée à mort, elle est placée dans une ferme jusqu’au jour de son exécution. Commence alors la longue attente. Agnes travaille sans relâche, tente d’ignorer l’hostilité de la famille qui l’héberge et réfléchit, ce qui n’est guère apprécié dans ces contrées archaïques.

« Mais quand la police m’a interrogée, quand ils ont compris que j’avais la tête sur les épaules, ça ne leur a pas plu. Femme qui pense n’est jamais tout à fait innocente, vous comprenez ? »

Le roman nous plonge dans un univers rude et violent, où les hommes font leur loi, eux-mêmes dominés par une nature inflexible. Lorsque la neige et le froid imposent le confinement, les instincts et la peur se libèrent. Préjugés, superstition, convoitise et crainte de Dieu se mêlent dans d’inquiétants huis-clos.

« Lauga avait demandé à Margrét s’il existait un moyen de reconnaître le mal – une marque quelconque permettant de savoir qu’une personne était habitée par le Diable : un bec-de-lièvre, une dent de travers, une tache de naissance ? Il fallait bien que les honnêtes gens puissent se tenir sur leurs gardes ! »

Dès lors, il devient difficile de faire entendre sa voix lorsque celle-ci s’élève à l’encontre d’une décision de la communauté.

« Ici, les gens ne vous laissent pas oublier vos fautes. Ils pensent même que ce sont les seules données qui méritent d’être consignées. »

Les femmes se soutiennent ou se jalousent, supportant une condition difficile, qui ne leur laisse que peu de contrôle sur leur vie.

Le style d’Hannah Kent est fluide comme la course des rivières islandaises en été. C’est une lecture qui « coule de source » sans jamais être simpliste. On en sort plus riche.

« Cette fille n’a rien de commun avec moi. De la vie, elle n’a vu que les arbres. Moi, j’ai vu leurs racines tordues enlacer les pierres et les cercueils. »

Difficulté de lecture : *

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez les ambiances nordiques
  • Vous êtes curieux de l’histoire locale en général, qu’elle soit d’ici ou d’ailleurs
  • Vous aimez les récits poignants

Le petit plus : la totale immersion dans le quotidien de fermiers islandais du XIX siècle. On entre dans leur badstofa (pièce commune où l’on dort, on discute et on travaille lorsque le temps interdit les activités extérieures), on mange le skyr (spécialité laitière de l’endroit), on écoute les sagas (fameuses histoires en prose islandaises, qui ont donné leur nom au mot que nous employons aujourd’hui).

A la fin de l’ouvrage, l’auteur nous décrit les années de recherche qui lui ont permis d’écrire une œuvre de fiction basée sur des faits réels et extrêmement bien documentée. C’est un travail remarquable.

***

Paru aux éditions Presses de la Cité, 2013

ISBN : 978-2-266-25386-4

447 pages

Traduit de l’anglais (Australie) par Karine Reignier-Guerre

Titre original : Burial Rites

Littérature australienne

Attention pavé ! La Guerre et la Paix – Léon Tolstoï

C’est une lecture qui commence par un défi.

Car franchement, qui, aujourd’hui, peut avoir l’envie spontanée de lire un tel pavé sur la Russie du XIXème siècle et ses combats contre l’Ogre Napoléonien ? 1243 pages dans cette version, dite moins dense et plus romanesque de l’œuvre de Tolstoï !

Un défi donc ! Lire un gros classique, histoire de se coucher moins bête… La Guerre et la Paix est celui qui me vient en premier à l’esprit. Malheur ! Dans quoi me suis-je embarquée ? D’autant plus que j’essaie toujours de terminer un livre, même lorsque la lecture en est pénible.

La paix, les personnages

J’attaque les premières pages avec un enthousiasme un peu forcé. Et voici que défilent les bals et les dîners, les princes et les comtesses aux noms capricieux. Je farfouille sur le web à la recherche de quelques explications : l’auteur prend un malin plaisir à multiplier les dénominations. Les personnages sont tantôt désignés par leurs prénoms et leurs multiples variantes (Natacha = Nathalia = Nathalie), tantôt par leur nom de famille, tantôt par le prénom du père auquel on appose un suffixe qui lui-même a plusieurs versions.

Mal de tête…

Il me faut un carnet et un stylo. Je bâtis une généalogie repère qui me servira tout au long du livre. Première difficulté vaincue. J’apprends au passage que les russes de l’époque (nous sommes en 1805), ceux de la haute société, parlent français. C’est la langue incontournable dans les salons mondains.

« Il continuait de parler en français, ne prononçant en russe que les mots qu’il voulait souligner de son mépris. »

Finalement, la lecture n’est pas si difficile. Les chapitres sont très courts et le style abordable. Et puis, cette histoire d’héritage et de manipulation, ça commence à devenir intéressant…

La guerre, la victoire de l’Ogre

Deuxième partie, cette fois, c’est la guerre ! Nous rejoignons l’armée russe, ses soldats, ses officiers, plus ou moins habiles et courageux. Pour profiter pleinement du spectacle, nouveau détour par Internet. Je trouve une ou deux cartes illustrant les campagnes napoléoniennes histoire de visualiser les champs de bataille. Et là, il faut bien le dire, un certain suspense s’installe.

Me voilà prise dans l’histoire, partie à la découverte des personnages réels qui croisent la route des héros de fiction, admirant au passage la maîtrise stratégique de l’empereur français. Je foule l’herbe d’Austerlitz, observe l’incurie des généraux austro-russes et assiste à leur terrible défaite. A ce propos, Tolstoï nous offre une phrase aussi majestueuse que la bataille :

« De même que dans une horloge le résultat de ces mouvements innombrables et complexes est un déplacement lent et régulier de l’aiguille qui indique le temps, le résultat de tous ces mouvements humains complexes de ces cent soixante mille Russes et Français, de toutes les passions, des désirs, des repentirs, des humiliations, de l’orgueil, des souffrances, des peurs et des enthousiasmes de ces hommes, fut la défaite d’Austerlitz, la bataille dite des trois empereurs, autrement dit un lent déplacement de l’aiguille de l’histoire universelle sur le cadran de l’histoire de l’humanité. »

C’est l’occasion de découvrir Napoléon Bonaparte que je connais bien mal, ses victoires, ses défaites. Un empereur vu de l’extérieur, longuement décrit, critiqué, parfois même admiré par ses ennemis. Le moins que l’on puisse dire est que ce diable d’homme a suscité bien des débats, et le roman n’en fait pas l’économie :

« Toute la force de cet homme réside dans son mépris pour les idées et dans le mensonge. Il suffit de convaincre tout le monde que nous sommes toujours vainqueurs et nous vaincrons. »

« Il n’arrivait pas à croire qu’il s’agissait de Napoléon, le vainqueur d’Austerlitz. Il le voyait de si près, c’était donc un homme ; il montait fort mal et était assis sur son cheval (ce qui frappait n’importe quel cavalier) Mais où était sa grandeur ? »

Tour à tour désigné comme « chef de guerre », « homme génial », « héros », « mauvais tacticien », « Antéchrist », « dragon », ou bien « traître à la révolution », haï ou adulé, il est omniprésent dans l’œuvre malgré de rares apparitions directes.

Ses campagnes sont le premier bouleversement auquel nos héros de fiction auront à faire face, une sorte de combat des « forces de la révolution contre les défenseurs de l’ordre ancien ».

La paix, une période de mutations

Au long de ces centaines de pages, nous suivons principalement de jeunes aristocrates issus de cinq familles russes, qui se croisent et interagissent.

Après la guerre revient la paix et son lot de mutations sociales :

« Nous ne comprenons pas l’époque que nous vivons maintenant. »

Les péripéties ne manquent pas : manipulations, duels, tromperies, aussi bien qu’amour sincère, repentir et esprit de sacrifice. Les personnages ne sont jamais lisses, ni totalement purs, ni totalement mauvais. Ils cherchent désespérément leur place, un sens à leur existence, au sein de cette époque malmenée. Ils sont authentiques.

Il y a le jeune homme sympathique mais constamment indécis, « à quoi bon ? », maladroit, influençable et incapable d’agir ;

L’ambitieux, intelligent, qui se plie à toutes les conventions pour mieux progresser dans l’étrange hiérarchie de la haute société ;

Le héros sincère et beau, réformateur et efficace, trop souvent abattu par la nostalgie et les désillusions ;

La belle insouciante, narcissique, qui fait tourner les têtes et dont la seule peur est de devenir adulte ;

Le faible enfin, lâche à ses heures, progressant un peu par hasard mais sachant aussi reconnaître ses fautes.

Pas un d’entre eux ne restera indemne. Tous évolueront au gré des évènements et de leurs réflexions.

La guerre, cette ineptie

L’œuvre se termine sur la débâcle française. La roue a tourné et Napoléon est en déroute. Où donc est passée sa maîtrise stratégique ? Tolstoï nous livre son opinion sur cette chose profondément amorale et pourtant « éternelle et inévitable » qu’est la guerre. Il brosse un bien triste tableau de ces grands chefs de guerre, qu’ils soient français, russes ou allemands. Selon lui, ils ne maîtrisent rien, ne comprennent rien, ne sont pas plus libres qu’un cheval attaché à une roue mobile.

« La chose militaire relève (…) des lois inéluctables de la fourmilière qui gouvernent l’humanité, elle exclut tout libre arbitre personnel et toute connaissance des buts qu’elle poursuit. »

Toute l’action des soldats ne consiste qu’à faire en sorte que l’ennemi ait peur le premier et s’enfuie. Ils ne ressentent le besoin d’égorger que lorsque l’horreur touche les civils et leurs proches. Tout le reste n’est que mensonge. Les causes de la guerre ne sont que prétextes. Les tactiques sont inopérantes sur un champ de bataille où tout se passe dans l’instant. Les héros sont fabriqués après-coup par les historiens.

« Il avait peur, une peur irrépressible d’être tué, et il était incapable de retourner là où il courait un danger. »

Les personnages du roman traversent ce chaos et s’en trouvent irrémédiablement changés. De toutes ces épreuves ne restent finalement qu’amour du prochain et compassion.

C’est un peu groggy mais ravie que je referme ce pavé, finalement englouti en moins d’un mois. Défi relevé. J’ai découvert une époque révolue, une contrée lointaine, une pensée actuelle. « La guerre et la paix » est une fresque riche en couleurs, en fureurs et passions. Un roman que l’on pourrait bien transposer à notre époque : des champs de bataille et hommes politiques avec d’autres noms, mais des motivations et une impuissance toutes similaires ?

Difficulté de lecture : ***

La Guerre et la Paix est pour vous si :

  • Vous aimez l’histoire et les épopées militaires ;
  • Vous n’avez pas peur de lire avec un carnet de notes à portée de main. Vous pouvez opter pour une lecture en deux temps pour ne pas risquer la lassitude que ne manquera pas de s’installer après quelques centaines de pages ;
  • Vous êtes curieux des forces, des sentiments, des fantasmes qui régissent les relations humaines, à l’échelle individuelle… ou nationale !

Le petit plus : cette œuvre est une mine de mots curieux, spécifiques, parfois désuets. Vous enrichirez votre vocabulaire militaire, lié à l’époque (cosaque, shako, uhlan, sabretache, havresac, hussard). Vous apprendrez le cri de guerre des armées russes (Hourra !). Vous croiserez nombre de ces termes que l’on comprend sans pouvoir en donner une définition précise. Et quelques originalités oubliées. Ma préférée : une « bas-bleu », mot masculin, désignant pourtant une femme, pédante et se piquant de littérature sans rien y comprendre. Molière aurait sans doute parlé d’une précieuse ridicule…

***

La Guerre et la Paix – Léon Tolstoï
Paru aux éditions Points
ISBN : 978-2-7578-1971-5
1243 pages
Traduit du russe par Bernard Kreise
Titre original : Voina i Mir
Littérature russe

La fiancée américaine – Eric Dupont

J’ai découvert la littérature québécoise pour la première fois il y un an, lors d’un voyage à Montréal. Là-bas, les librairies sont légions. Elles fleurissent à chaque coin de rue et proposent des livres d’occasion aussi bien que des livres neufs. J’ai donc maintenant « une pile de livres » québécois, qui alimente mes lectures étrangères.

« La fiancée américaine » est un livre captivant que je range avec bonheur dans mon dossier « épopées familiales ». Eric Dupont est un auteur contemporain, professeur d’université, établi à Montréal mais ayant vécu plusieurs fois en Europe.

Ce livre est son quatrième roman. Au fil des pages, j’ai pensé plusieurs fois aux « Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez. Peut-être les puristes hurleront-ils au sacrilège, car le style et probablement l’intention sont différents. L’œuvre d’Eric Dupont est moins touffue, et d’abord plus aisé. Elle présente pourtant le même foisonnement.

Tous les ingrédients y sont : l’histoire d’une famille (québécoise, donc) s’y déroule sur plusieurs générations. On suit quelques personnages truculents, au caractère bien marqué… et bien trempé. Les situations cocasses ou dramatiques se succèdent à une vitesse étourdissante. Le tout baigné par une atmosphère légèrement fantastique et un soupçon d’irréalité.

Tout commence par cette fiancée américaine que l’on importe dans la petite ville de Rivière-du-Loup, en pleine terre québécoise. Pour l’unique raison qu’elle se nomme Madeleine et que chaque génération de la famille des Lamontagne de Rivière-du-Loup doit avoir sa Madeleine. Elle fera long feu, cette fiancée, mais marquera le clan grâce à son livre de recettes et la croix en or léguée aux générations suivantes.

Et c’est parti pour d’incroyables aventures sur le continent Nord-américain et dans la vieille Europe !

« Il aurait fallu prendre une photographie des Lamontagne à ce moment là. On aurait pu la classer entre la photo faite à Hiroshima fin juillet 1945 et celle de Dresde à Noël 1944, ou de n’importe quel endroit dont la destruction est imminente. »

L’histoire est passionnante, servie par un humour inventif amenant une touche de légèreté aux scènes les plus graves.

« Contrairement aux Français qui semblent toujours avoir la réponse aux questions qu’ils n’ont pas encore posées, les Allemands sont toujours pleins de wann ? wie ? wo ? warum ? wer ? et ne vivent pas dans la peur panique d’avoir un jour à admettre : ‘Je ne sais pas.’ »

C’est aussi l’occasion de s’ouvrir l’esprit et d’apprendre en douceur. Les cahiers de Magda par exemple, nous plongent sans parti pris dans le vécu douloureux des civils allemands lors de la seconde guerre mondiale. Témoignage prenant et parfaitement documenté.

Quel personnage, d’ailleurs, cette curieuse Magdlena Berg, dont le nom signifie peu ou prou « Madeleine Lamontagne »…

La couverture parle d’elle-même : « la fiancée américaine » est en effet un « livre phénomène », qui ne peut pas laisser indifférent.

Un bémol : certains fils rouges un peu trop présents, qui tirent à l’obsession, comme l’évocation récurrente de l’opéra Tosca (Puccini). Ceci dit, pourquoi ne pas faire un tour sur youtube et découvrir (je suis personnellement inculte ou presque en matière de musique classique ou d’opéra, alors toutes les occasions sont bonnes !)

Le petit plus : l’histoire méconnue d’une des plus grandes catastrophes maritimes de tous les temps, le torpillage du Gustloff. Gardez donc la tablette à portée de main pendant la lecture. Vous apprendrez !

Le mot inédit : sarcelle. C’est le nom d’un canard, et dans le livre, c’est l’adjectif désignant la couleur des yeux des Lamontagne. « Une couleur rare », véritable marque de fabrique des membres clés de la famille.

Difficulté de lecture : **

Ce livre est pour vous si :

  • Vous n’êtes pas effrayé par les pavés  (Celui-ci ne devrait pas vous ennuyer, il est suffisamment loufoque pour ça !)
  • Vous aimez l’histoire et la culture en général
  • Vous aimez les sagas familiales

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Editions J’ai Lu, mai 2015

ISBN : 978-2-290-10945-8

919 pages

Prix des libraires du Québec 2013

Littérature québécoise

 

A l’orée du verger – Tracy Chevalier

Tracy Chevalier est l’un de mes auteurs fétiches pour la bonne raison qu’elle incarne parfaitement mon credo : Lire, Ecrire, Transmettre. Dans chacun de ses romans, elle choisit un sujet lié à l’histoire des hommes. Comme en témoignent les post-scriptum où elle indique ses sources, elle se documente sur le terrain, interroge des spécialistes et lit de nombreux ouvrages. Puis elle écrit une histoire teintée de romanesque au contexte parfaitement véridique. Cela lui permet de transmettre de façon très plaisante un patrimoine ou un savoir-faire ancestral, souvent méconnu, toujours original.

Cette démarche à la fois littéraire et quasi-scientifique ne pouvait que me séduire !

Tracy Chevalier a ainsi traité de sujets aussi variés que l’art des quilts aux Etats-Unis (ces couvertures en patchwork décrites dans « La Dernière Fugitive »), les premières découvertes d’animaux préhistoriques (« Prodigieuses créatures », roman qui figure dans mon top 5 absolu !), ou le talent du grand peintre Vermeer (« la Jeune Fille à la perle », adapté au cinéma).

Dans « A l’Orée du Verger », il est bien sûr question d’arbres. Nous suivons une famille de colons américains qui s’installe dans un marais nauséabond, au cœur de l’Ohio, pour y cultiver des pommiers.

« Le Black Swamp était une terre capricieuse : trop mouillée, ou trop sèche, trop pourrie, ou trop morte. Trop imprévisible pour garantir un rendement sûr. »

La vie est rude dans cette contrée sauvage où les rancœurs mûrissent plus rapidement que ces fameuses reinettes dorées, pommes à la saveur exceptionnelle, combinant « des arômes de noix et de miel, avec une acidité finale qui, paraît-il, ressemblait à l’ananas. »

Puis, à la faveur d’une histoire que je ne vous révèlerai pas, on s’éloigne vers l’ouest et d’autres arbres viennent compléter notre carnet de botaniste temporaire. L’auteur nous emmène à la découverte des grands séquoias de Californie et de l’exploitation qui en est faite aux temps de la ruée vers l’or. Tantôt métaphore de ces colons aventureux, tantôt symboles de survie ou de fortune, les arbres jalonnent le livre et en imposent par leur majesté ou leur opiniâtreté.

« Arracher une souche lui rappelait combien profondément les arbres étaient enracinés, avec quel acharnement ils s’agrippaient au sol où ils avaient poussé. »

« Ben dites donc, les arbres sont rudement doués, j’ai dit. Sans doute plus doués que les gens. »

L’histoire est imprégnée de cet incomparable esprit pionnier qui a marqué le lieu et l’époque. A l’âpreté de la vie répond l’extrême résilience d’hommes et de femmes en perpétuelle quête d’un avenir plus clément.

Lors de cette formidable traversée du pays, on croise quelques personnages ayant réellement existé, tel ce John Chapman, surnommé Jonnhy Appleseed (« Jonnhy Pépin-de-Pomme ! »). Cet homme haut en couleur courait pieds nus, vêtu comme un mendiant, vendant et distribuant des pépins ou de jeunes plants, protégeant et diffusant les pommiers dans sa région. Sans doute l’un des premiers pionniers écologistes !

Le livre est bâti de manière inédite. Il alterne les points de vue, offre quelques passages épistolaires pour figurer les années qui s’envolent. Le style est à la fois abordable et sérieux. Pas d’ennui dans ce roman !

Tracy Chevalier nous parle en direct de ce roman dans la vidéo qui suit. Elle y évoque les arbres, bien sûr, mais aussi Sadie Goodenough. Cette dernière est sans doute le personnage (de fiction) le plus marquant de l’histoire. « Cest un monstre », nous dit l’auteur. Mais un monstre qui a ses raisons…

Pour prolonger la lecture, elle nous conseille également « l’homme qui plantait des arbres » (Jean Giono).

Vidéo présentée par la librairie Mollat sur sa chaîne YouTube :

Difficulté de lecture : *

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez les pommes, les arbres et la botanique !
  • Vous voulez partir à la conquête de l’ouest
  • Vous aimez la « petite histoire », celle des gens qui façonnent un pays par leur travail, leurs ambitions et leurs souffrances

Le petit plus : l’un des personnages du roman dessine les séquoias à la manière dont, bien plus tard, une équipe de scientifiques et de photographes immortalisera le célèbre « President Tree », l’un des plus grands arbres du monde.

« Il avait également dessiné des bouquets d’arbres et quelques uns de ces croquis, assemblés, pouvaient former un panorama qui donnait une idée de la taille et de l’ampleur de la forêt. »

Si vous voulez voir cette autre vidéo, c’est par ici

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Paru aux éditions la Table Ronde, Quai Voltaire

ISBN : 978-2-7103-7763-4

325 pages

Traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff

Titre original : At the Edge of the Ochard

Littérature américaine