Ecriture inclusive : pourquoi j’ai (partiellement) changé d’avis
L’écriture inclusive… Il y a les pro et les anti. Rares sont ceux qui n’ont pas une opinion tranchée. Car cette histoire de point médian, de masculin genre neutre, d’autrice et de sapeure-pompière rejoint le vaste débat de l’égalité homme-femme et de la lutte contre le sexisme. Lorsque j’ai voulu écrire cet article, j’ai commencé par enquêter et lire tous les points de vue sur la question. Le mien a fini par évoluer…
Qu’est-ce que l’écriture inclusive ?
Le masculin l’emporte sur le féminin ?
A moins de vivre dans une grotte, vous avez forcément entendu enfler la polémique. Le terme d’écriture inclusive est pourtant récemment apparu dans les médias. Radio, télé, journaux, réseaux sociaux, c’est aujourd’hui devenu un sujet bien juteux pour les amateurs de buzz.
D’ailleurs, peut-être devrais-je écrire amateur·rice·s. Ou bien les amateurs et amatrices. Car il s’agit bien de ça : faire en sorte que dans la langue française, « le masculin ne l’emporte plus sur le féminin. » Une phrase qui nous faisait bien rire dans les écoles primaires. L’institutrice prenait un air faussement résigné, l’instituteur affichait un sourire narquois et tous deux nous révélaient cette règle soi-disant incontournable de la langue française. Et les petites filles de s’indigner. Et les petits garçons de ricaner. Le tout dans une ambiance bon enfant.
A l’époque, j’étais loin de me douter que la plaisanterie cachait un sujet bien plus sérieux, le principe même d’égalité sur lequel ma propre nation est censée être fondée.
L’écriture inclusive permet aujourd’hui aux femmes de retrouver une visibilité que l’emploi du masculin en tant que genre générique lui a dérobée : on dit « la déclaration des droits de l’homme et du citoyen », en sous-entendant que les femmes sont incluses. Les hommes prennent valeur d’êtres humains. Mais dans cette histoire, il faut bien reconnaître que les femmes passent inaperçues.
Les grands principes de l’écriture inclusive
Pour y remédier, il s’agit donc (je résume les grands principes de l’écriture inclusive) :
- d’employer les versions féminines des noms de métiers, titres, grades et fonctions ;
- d’utiliser de vrais termes génériques: les Québécois parlent par exemple des « Droits de la personne humaine » ;
- d’utiliser librement les mots épicènes (qui ne varient pas selon le genre) : les artistes, les enfants, les astronautes ;
- d’accorder la même place au féminin qu’au masculin dans les phrases que l’on emploie.
Comme évoqué précédemment, on dira donc les écrivaines et les écrivains pour désigner l’ensemble des personnes exerçant ce métier (si les écrivaines viennent en premier dans ce cas, ce n’est pas par galanterie ou excès de zèle. Il s’agit simplement d’adopter l’ordre alphabétique qui se fiche pas mal du genre. Ainsi on dira « les acteurs et les actrices »).
Par écrit, il sera possible d’utiliser le fameux point médian en guise de raccourci : « les écrivain•e•s ».
Et l’on accordera le reste de la phrase en conséquence. « Les écrivain•e•s se sont révélé•e•s enchanté•e•s (indigné•e•s ?) par cette nouvelle manière d’écrire ».
Tout cela est parfaitement décrit dans le « Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe », publié en 2015 par le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes.
Je précise que sur PC, le point médian s’écrit via le raccourci clavier ALT+0183. L’Afnor vient d’ailleurs de recommander l’ajout de ce point directement sur nos claviers.
C’est vraiment moche !
La première fois que je croise les termes « écrivaine » et « autrice », je me rebelle. Ces deux mots sont trop laids ! Pourquoi devrait-on subitement utiliser la forme féminine quand le terme générique « écrivain » semble suffire ? On dit bien « UNE star de cinéma » pour désigner Brad Pitt et il ne s’en offusque pas.
Bref, on a toujours fait comme ça, ne touchez pas à ma langue française, celle qui porte notre patrimoine tout entier, et cessez d’inventer d’horribles mots !
Mais voilà. Puisque l’écriture inclusive est à la mode (Hatier a quand même publié un livre pour les CE2 entièrement écrit de cette façon), il faut bien que je me renseigne pour écrire un article.
Je découvre alors qu’avant le XVIIe siècle, les formes féminines des noms de métiers existaient bel et bien. Elles n’ont été supprimées de nos usages que parce que certains lettrés que je ne nommerai pas (le méritent-ils ?) ont décrété que « le masculin est plus noble que le féminin ». Ça m’énerve. Peut-être ces mots ne sont-ils moches que parce que nous sommes conditionné·e·s à les trouver « anormaux » ? Les hommes (les personnes de sexe masculin) ont décidé de conserver les termes « ménagère » ou « cuisinière », mais ont curieusement éliminé « médecine » (oui, la femme médecin) ou « administeresse ».
Il en faut quand même plus pour me convaincre. Après tout, ces éminents lettrés vivaient à une autre époque qu’il ne m’appartient pas de juger. Je continue donc mes recherches.
L’oeuf ou la poule ?
J’ai toujours pensé qu’il fallait laisser la langue évoluer librement. N’essayez pas de me faire adopter les « congés de fin de semaine », je tiens trop à mes week-ends. Le Français s’enrichit d’apports extérieurs et invente de nouveaux mots lorsque le besoin s’en fait sentir. Il est le reflet de notre réalité quotidienne. La société façonne la langue, pas l’inverse.
Et puis je lis un article de Sud Ouest qui me fait réfléchir et change radicalement ma façon de voir les choses. C’est par ailleurs un bon résumé sur le sujet. Mais lisez donc le passage sur les agriculteurs. On y parle d’un autre article sur les difficultés rencontrées par cette profession. La conclusion étant qu’une préoccupation majeure des agriculteurs est l’angoisse de trouver une épouse. Ah ! Dans ce cas, le terme masculin n’est donc pas générique ? N’existe-t-il que des agriculteurs hommes ? Ou peut-être les agricultrices n’ont-elles aucune difficulté ? Ici, le manque de visibilité des femmes les a bel et bien occultées.
Alors je réfléchis. C’est vrai, si le journaliste avait écrit agriculteur•rice•s, il aurait sans doute conclu son article d’une manière différente.
La langue peut donc influencer notre façon de penser. Est-il bon qu’elle le fasse ? C’est le principe même de la liberté d’expression, n’est-ce pas ? On ne s’interroge pas autant lorsque les penseurs et penseuses de notre époque publient sur d’autres sujets, et notamment prennent la défense de minorités. Les mots sont là pour ça aussi.
De toute façon, le simple fait que l’écriture inclusive suscite autant de réactions aujourd’hui ne signifie-t-il pas que la cause des femmes évolue, et ce, sans avoir besoin de toucher à notre façon d’écrire ?
Le spectre de l’égalitarisme
Je poursuis ma réflexion.
Faut-il donc forcer la parité homme-femme dans la langue ? Passer par l’égalitarisme pour promouvoir l’égalité ?
J’ai horreur de cette parité lorsqu’elle est imposée dans les gouvernements ou autres groupes publics. Selon moi, la compétence et le mérite des uns et des autres devraient être les seuls critères de choix. Mais le monde n’étant pas parfait, et les compétences parfois similaires, il est peut-être nécessaire d’en passer par là.
Débat complexe auquel je n’ai pas de réponse toute faite.
Nos pauvres écoliers !
Un autre argument contre l’écriture inclusive consiste à dire que cette façon d’écrire est trop complexe et ne ferait qu’embrouiller les jeunes à l’école. Déjà que le niveau d’orthographe est en chute libre…
Mouais… Je suis moins sensible à ce type de réflexions. Nos jeunes ne sont pas idiots. On parvient bien à les persuader qu’un homme et dix mille femmes sont « beaux ».
J’ai également lu le témoignage de personnes dyslexiques expliquant que le point médian ne changeait pas grand chose dans leurs difficultés. Je ne suis pas spécialiste et ne peux pas juger.
Faut-il vraiment s’étriper au sujet de l’écriture inclusive ?
Une chose est sûre : l’idéal (en tout cas le mien) serait que femmes et hommes vivent en harmonie sans injustice criante, en tant qu’êtres humains ayant des droits comme des devoirs. Il serait bien dommage que cette écriture inclusive les divise un peu plus ou même desserve ses défenseures (le mot défenderesses n’étant utilisé que dans le domaine juridique, j’ai vérifié).
Je pense finalement que cette nouvelle façon d’écrire a du bon. Pour peu qu’elle ne soit ni imposée ni poussée à l’extrême.
Il serait ridicule de réécrire les classiques avec le point médian, non ? Moi-même ne suis pas certaine d’avoir envie de l’utiliser dans chacun de mes articles, surtout lorsque le sens ne prête pas à confusion.
En revanche, j’adopterai désormais les formes féminines des métiers et des fonctions chaque fois qu’il est intéressant de les utiliser. A l’oral également, comme pourraient le faire les instituteurs et institutrices de France afin que les femmes ne soient pas systématiquement occultées dans l’esprit des enfants. Les pouvoirs publics ont sans doute leur rôle à jouer. Ne changeons pas les manuels scolaires trop rapidement, mais les communications et affichages officiels pourraient adopter cette nouvelle façon d’écrire. De même les entreprises (modernes) qui refusent de laisser libre cours aux discriminations. Pour le reste, laissons la société et la langue évoluer lentement, s’influencer mutuellement. Certains usages seront adoptés, d’autres abandonnés. J’espère, pour le meilleur. Comme souvent, la voie la plus efficace est sans doute la plus lente, celle qui se tient à l’écart des extrêmes.
Je suis très curieuse de connaître votre opinion à ce sujet : pour ? contre ? ou, comme moi, mitigé·e·s ?
Par ailleurs, une dernière chose : comment dit-on sage-femme au masculin ?