Sélectionner une page

Au revoir là-haut – Pierre Lemaître

Ce livre m’a rendue triste.

Triste parce que je l’ai lu trop vite.

Et que, maintenant, je repense avec nostalgie à ces moments où il dormait dans ma pile sans que je l’aie encore découvert. J’allais avoir une belle surprise.

L’histoire : Albert et Edouard sont des poilus de la Grande Guerre. On suit leur parcours après le conflit, tout au long de la démobilisation et des hommages rendus aux soldats par « la nation reconnaissante ». Ils montent alors une grande escroquerie… Mais ceci n’est qu’un pâle résumé. Blafard. Lisez plutôt le livre.

Pierre Lemaitre s’est fait connaître par son art du thriller. Dans « Cadres noirs », « Alex », « Travail soigné » et autres, l’auteur s’y entend pour faire monter la tension. C’est noir et effrayant, sans en faire trop. Savant dosage d’action et de terreur psychologique. Ceux qui aiment le genre apprécieront, je ne me souviens pas d’une critique vraiment négative.

Quand une telle virtuosité se met au service d’un récit plus profond, dont les racines puisent au cœur de notre histoire, la plus douloureuse car encore terriblement récente, cela donne un prix Goncourt. Mieux : un livre reconnu par les experts, certes, mais aussi par le public. Par ces milliers de lecteurs, qui, comme moi, se méfient des récompenses attribuées par les lettrés et ne croient qu’à la fièvre qui les saisit lorsqu’ils prennent un bon roman et ne peuvent plus le lâcher. Rallier ces deux camps opposés est sans nul doute un tour de force.

L’auteur prend le parti d’exposer tous les points de vue, les pensées de tous les personnages, parfois même ce qu’il adviendra d’eux. Il dévoile tout. Du moins c’est ce qu’on pense. En réalité il cache l’essentiel, qu’il distille savamment dans les pages qui suivent. On se fait prendre une ou deux fois, puis on se méfie. Le suspense augmente. C’est très bien fait.

Les protagonistes avancent dans le récit, chacun avec ses propres motivations et objectifs. Et lentement se construit une « situation explosive à allumage progressif. » Le final est détonant.

J’ai été triste également pour Albert et Edouard,

auxquels on s’attache, bien sûr, dès les premiers mots.

Ce sont des poilus qui ont rampé dans les tranchées et côtoyé la mort de près, trop près. En novembre 1918, le roman commence et la guerre se termine. Nos deux soldats seront bientôt démobilisés. Et leur combat pour survivre continue, plus âpre que jamais.

Pierre Lemaitre est doué pour le suspense ; il excelle aussi dans la manière de créer des personnages et leur donner vie. Au fil des pages vous vient l’impression de connaître les deux soldats, comme des cousins éloignés. Ils pourraient être vos ancêtres.

Albert le vulnérable, un peu simple mais d’une générosité sans limites. Edouard l’héroïque, provocateur et créatif. Pradelle dont toute l’énergie et les actions sont tendues vers un seul but : faire fortune et restaurer le pouvoir de sa famille. Malheur à qui se trouve sur son chemin. C’est le méchant dans toute sa splendeur, beau et opportuniste, qui donne du relief aux péripéties de nos anciens poilus. Qu’il apparaisse, que son seul nom soit évoqué et l’angoisse monte d’un cran.

Et tant d’autres encore, pittoresques à souhait. J’en jubile encore.

Et puis, cette guerre m’a rendue triste.

Il existe nombre de romans qui décrivent l’horreur de ses combats, l’absence de scrupules des commandements, l’incurie des gouvernements d’alors. Peu ont abordé la laideur des années qui ont suivi.

« C’est décourageant, quand on y pense, de s’être battu pour un résultat pareil. »

Le roman prend parfois des allures de caricature, tant est choquante la noirceur qu’il décrit. Pourtant, à bien y réfléchir, on se dit que oui, pareilles infamies ont dû exister. Le temps qui passe et les manuels scolaires lissent les évènements, les rendent tout noirs ou tout blancs, le bien et le mal, les erreurs des uns, l’héroïsme des autres. A nous faire oublier que la nature humaine balaie toutes les nuances de gris.

Quelques recherches sur Internet m’ont fait considérer un œil nouveau les cimetières militaires, leurs croix immaculées et bien alignées, leurs allées rectilignes à l’impeccable gazon. Si le cœur vous en dit, voici deux articles intéressants (et édifiants), à ne lire qu’après avoir terminé le roman : Article 1 / Article 2

Pour résumer tant de tristesse, je dirais que:

« Au revoir là-haut » m’a tout simplement enthousiasmée !

S’il m’arrivait un jour d’oublier pourquoi j’aime la littérature, je n’aurais qu’à le relire. Que les puristes de la critique littéraire me pardonnent ! Lorsqu’un livre m’a à ce point captivée, je ne sais pas me modérer. Je n’en ai pas non plus l’envie.

Difficulté de lecture : ** (c’est un Goncourt dont la lecture n’est pas douloureuse. Le style est là, beau comme on aime et, surtout, sans nuire à la compréhension)

Ce livre est pour vous si :

  • Vous voulez regarder l’Histoire dans le blanc des yeux, et voir s’y refléter ses horreurs et ses bassesses
  • Vous aimez le suspense bien construit
  • Vous voulez écrire. Il n’existe pas de meilleure manière d’apprendre que d’observer les grands maîtres (sans mauvais jeu de mots). Chez l’auteur, pas de clichés. C’est l’un des rares qui parviennent encore à séduire le lecteur par ses métaphores, précises, inédites et sans surdose.

Le petit plus : le film d’Albert Dupontel, qui sort en France en octobre 2017 et sera sans doute très réussi. Je le verrai dans quelques mois, histoire de savourer longtemps l’ambiance du livre sans lui surexposer des images qui ne sont pas les miennes.

D’autres titres liés à la Grande Guerre :

  • Les Croix de bois (Raymond Dorgelès) – Pour moi, un autre coup de cœur !
  • Le Réveil des Morts (Raymond Dorgelès) – cité par Pierre Lemaitre dans sa postface
  • Le Retour d’Ulysse (J. Valmy-Baysse) – également cité dans la postface
  • A l’ouest rien de nouveau (Erich Maria Remarque)
  • Le Feu (Barbusse), autre prix Goncourt, en 1916
  • Les romans de Max Gallo, dont : 1914, le destin du monde / 1918, la terrible victoire

N’hésitez pas à partager vos lectures sur le sujet et nous donner d’autres titres, les commentaires sont faits pour ça!

***

Editions Albin Michel, 2013

ISBN : 978-2-226-24967-8

567 pages

Prix Goncourt 2013

Et plusieurs autres prix littéraires en 2013 et 2014

Littérature française