Photo : @newtimestudio
Avant que les livres ne se nichent dans nos foyers, les hommes transmettaient histoires et philosophies de vie au coin du feu. Tradition orale. J’ai toujours été fascinée par les voix profondes, mystérieuses. Charismatiques. Je vous propose aujourd’hui d’aller à la rencontre de Clémentine Domptail, qui sait si bien faire le lien entre le livre et la parole. Comédienne passionnée, elle prête sa voix aux enregistrements de livres audio. Son joli timbre hypnotise, berce notre imagination et nous entraîne aux confins des univers secrets de nos romans favoris.
Clémentine a accepté de répondre à mes questions à propos de ses activités et de sa relation à l’écrit. Découverte d’un art fascinant…
Comment appelle-t-on ton métier ?
Interprète voix ou comédienne voix. C’est une activité qui a le vent en poupe : avec le confinement, le marché du livre audio a beaucoup progressé. Il existe un réel intérêt pour ce format.
Comment es-tu devenue comédienne voix pour les livres audio? Peux-tu nous décrire ton parcours ?
Il y a une vingtaine d’années, j’ai dû me « post-synchroniser » sur le film « Mon vrai père » de Dominique Ladoge. La post-synchronisation consiste à travailler l’habillage sonore du film, de donner une voix aux figurants et aux petits rôles, d’aider à restituer l’ambiance d’une rue ou d’un restaurant. Il est assez difficile d’effectuer son propre doublage et de poser sa voix sur son interprétation. D’ailleurs l’inverse, se voir parler et entendre une voix qui n’est pas la sienne, est également très bizarre !
Toujours est-il qu’à l’époque, la directrice de plateau m’a encouragée à poursuivre dans cette direction. Selon elle, j’avais une « bonne voix ».
J’ai donc continué la post-synchronisation et suis devenue très active dans l’univers du son. Un domaine très vaste : doublages, reportages, documentaires, voix off, audiodescriptions, podcasts, CD d’apprentissage, etc.
Il y 7 ans, le studio pour lequel je travaillais m’a proposée pour un casting. Il s’agissait de réaliser la version audio du roman « Ça ne peut pas rater », de Gilles Legardinier. J’ai été retenue et l’aventure du livre audio a commencé.
Comment se déroule l’enregistrement d’un audiobook ?
En général, les studios proposent quelques voix en se basant sur le descriptif donné par la maison d’édition. Plusieurs candidats sont conviés au casting et nous réalisons un essai sur 3 ou 4 pages du livre en question.
Lorsque je suis choisie pour un roman, j’ai personnellement besoin de le lire avant de commencer. Je trouve que c’est essentiel pour donner la bonne couleur aux personnages, d’autant qu’on ne comprend parfois leurs motivations qu’à la toute fin de l’histoire. Après une première lecture, j’ajoute mes annotations, mes repères et mes réflexions sur la ponctuation, les descriptions, etc.
C’est ensuite le début des lectures. Les petites hésitations sont coupées au fur et à mesure. L’ingénieur son repart quelques secondes en arrière et je recommence. En 7 heures d’enregistrement nous parcourons en moyenne une centaine de pages. Lorsque je rentre chez moi, après une journée de travail, je ne parle plus que par SMS !
Le plus souvent, la première version du livre audio est réécoutée en studio ainsi que par la maison d’édition. Si celle-ci le souhaite, quelques sons d’ambiance sont ajoutés ici et là. Un peu de musique également.
Lorsqu’un mot est oublié ou modifié, nous procédons à ce que l’on appelle des « retakes ». Ce sont de petites reprises permettant de modifier ce qui demande à l’être. Je suis très fière de pouvoir dire qu’à la suite de mon dernier enregistrement, je n’ai reçu aucune demande de retake !
Les auteurs interviennent-ils ? T’arrive-t-il de les rencontrer ?
C’est plutôt rare, surtout lorsqu’il s’agit d’auteurs étrangers. Mais je sais que Gilles Legardinier et Franck Thilliez* ont eu un droit de regard sur le choix de la voix. Ils ont tous deux assisté à une partie de la dernière session d’enregistrement puisqu’ils devaient eux-mêmes enregistrer leurs remerciements. C’est assez déroutant, cela ajoute de la pression ! C’est d’ailleurs la même chose lorsque je sais que m’écoute un représentant de la maison d’édition !
Mais j’ai appris à maîtriser mes tensions. Plus j’avance, plus j’ai confiance…
[* Clémentine a interprété « Rêver » de Franck Thilliez, dont vous trouverez la chronique sur ce blog. Même chose pour « Animal » de Sandrine Collette.]
Aujourd’hui, tu continues à démarcher ?
Oui, et de multiples façons.
Le fait de lire pour des auteurs connus constitue une excellente carte de visite. Cela aide beaucoup. Mais je reste également en contact avec les maisons d’édition, notamment via les réseaux sociaux. Je relaie leurs messages et vice et versa. Je démarche aussi les producteurs, les studios. Et parfois les auteurs, à qui je propose de poser ma voix sur certains de leurs écrits.
Y a-t-il des romans que tu rêverais d’interpréter pour la version audio?
J’adore les polars, et notamment Fred Vargas. Je l’ai découverte il y a quelques années et j’ai tout lu d’elle ! Oui, j’aimerais interpréter l’un de ses livres**.
Et puis de la poésie également. Un recueil de Christian Bobin par exemple, comme « Autoportrait au radiateur ». Son écriture est délicate et pleine d’amour. C’est très beau.
[** Et moi je rêverais de t’écouter dans un tel opus, Fred Vargas étant également mon auteur de polars favori !]
As-tu une anecdote amusante à propos des enregistrements ?
Je suis très forte pour inventer des mots. C’est même ma spécialité ! Quand on lit à haute voix, il faut (beaucoup) anticiper et il arrive que certains mots se percutent et s’amalgament… On rit beaucoup, avec l’ingénieur son. Il s’amuse de mes phrases qui, parfois, ne veulent rien dire !
En dehors des enregistrements, qu’aimes-tu lire ? Y a-t-il un livre qui t’ait particulièrement plu ?
Je l’ai dit, les polars, les thrillers. Fred Vargas, Bernard Minier, etc.
Et puis j’ai été profondément marquée par l’Étranger, d’Albert Camus. Et par le Parfum, de Patrick Süskind. En le lisant, on peut sentir ces parfums, cela devient réel, c’est magnifique !
Est-ce que tu écris ?
Oui !
J’ai écrit deux contes pour enfant. Je n’ai fait lire le premier qu’à des amis et il est finalement resté dans un tiroir (pour l’instant). Mais le deuxième, « Eliazar l’Oiseau Rare », est en production, pour un format audio. Je ne peux pas en dire plus pour le moment mais j’aimerais beaucoup me développer dans ce domaine. D’autant que le conte, lui, permet de s’amuser vocalement et de tester quelques caricatures en matière de voix !
Pourquoi le conte pour enfant ?
En réalité j’écris aussi des poèmes, de petites chroniques. Mais ce que j’aime dans le conte, c’est que tout y est possible. L’écriture est à la fois très simple et très subtile. Le fait de choisir un jeune public m’a libérée. Je peux débloquer une histoire d’un coup de baguette magique ! C’est l’alliance de la beauté, de la simplicité et de la poésie…
Que dirais-tu à quelqu’un qui a envie d’écrire mais qui n’ose pas?
D’oser, qu’importe ce qui en sort !
J’aime prendre l’exemple de Rupi Kaur. Dans certaines de ses pages, il n’y a parfois que deux mots. Et ça suffit !
Il faut écrire simplement, sans essayer de faire en sorte que ce soit beau. Sans tenter de coller à un style. Écrire, et c’est tout.
Et puis il y a toujours les ateliers d’écriture pour s’améliorer.
Personnellement je ne me considère pas encore comme une auteure. Je n’écris pas tous les jours. Mais ça ne m’empêche pas d’essayer.
La critique ? Eh bien, si elle est constructive, il faut savoir l’entendre et l’intégrer. Si elle est négative sans argument valable, c’est sans doute que la personne est jalouse. Et cela prouve que ce que vous écrivez dégage quelque chose !
Aujourd’hui je suis dans une dynamique à la fois positive et optimiste, une très bonne phase de ma vie ! J’ose avec plus d’aplomb qu’auparavant, et cela donne un réel impact à mes activités.
Que cherches-tu à transmettre ?
Pour ce qui est du livre audio, il s’agit surtout de transmettre ma passion. J’espère toujours que les auditeurs parviendront à se plonger dans l’histoire et qu’ils entendront l’énergie et le plaisir que j’ai mis dans la lecture. J’aimerais les toucher. Je souhaite que ma voix génère une émotion, qu’elle donne forme à l’écrit, qu’elle l’enrichisse et le sublime.
Quels sont tes projets ?
Il y a le fameux conte pour les enfants.
Et je travaille également dans une compagnie de théâtre, El Vaïven. Nous avons récemment passé le concours du théâtre 13 et nous sommes finalistes. Nous proposons la pièce d’un jeune auteur, qui est encore en cours d’écriture. Je pense que cela a piqué la curiosité du jury. Nous avons fait un gros travail de recherche et d’improvisation. Les 11 et 12 juin prochains (2021), nous présentons l’œuvre dans sa totalité au théâtre 13 et le public est convié puisqu’il vote également. Les lauréats seront programmés au théâtre 13 dès que la situation sanitaire le permettra. On croise les doigts !
Mais le simple fait que nous soyons finalistes m’a déjà procuré, nous a procuré, une joie immense !
Je multiplie enfin les collaborations, notamment avec les photographes. Il faut savoir se rendre visible, et j’aime leurs univers artistiques. Sur les dernières photos, je jouais avec une plume de paon. Peut-être l’évocation subtile d’Eliazar, l’oiseau rare, qui sait ?
***
J’aime toujours le contact du papier et ne pourrais me passer de la lecture au sens premier du terme. Mais je reconnais que le livre audio procure une expérience différente. Une expérience à ne pas réserver uniquement aux longs trajets sur autoroute. La voix donne une dimension inédite à l’histoire. Je vais de nouveau me laisser tenter. Affaire à suivre…
Et vous ? « Lisez-vous » les livres audio ?
Retrouvez Clémentine Domptail sur son site Internet : vous y découvrirez notamment quelques extraits de ses prestations audio.
Elle est aussi sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Wikipédia.
Merci beaucoup pour ce témoignage. C’est très intéressant de connaître un peu les coulisses mal connues de ce milieu et de mettre le ficus. Personnellement, je n’écoute pas de livres audio mais j’aime les histoires à la radio. C’est très proche de cet univers. Et la magie des voix peut être envoûtante. Elle fait beaucoup pour le récit.
Merci Christine pour ton commentaire. Oui, la voix fait beaucoup. Perso, j’ai vraiment été envoûtée par celle de Clémentine, avant même de la connaître. C’est un art !