Au premier abord, on pourrait être tenté de considérer Dans les angles morts d’Elizabeth Brundage comme un polar. Disons un polar psychologique. Le premier chapitre s’ouvre en effet sur un meurtre : Catherine Clare vient d’être assassinée dans son lit d’une horrible manière. Sa petite fille Franny a passé la journée entière dans la maison, aux côtés d’une morte avant que son père George ne découvre l’épouvantable scène en rentrant du travail. Finalement le drame ne surprend pas tant que ça. Après tout, la maison des Clare est maudite : quelques années auparavant, le couple Hale s’est suicidé dans la même chambre, laissant derrière lui trois fils désormais orphelins.
Voilà pour le contexte.
Une atmosphère
Un polar donc. Ce serait ignorer bien des choses et passer à côté de l’immense richesse de ce roman.
Il faut d’abord se plonger dans l’atmosphère des campagnes un peu mornes du Nord-Est américain. La maison maudite est une ancienne ferme laitière, décrépie, isolée, battue par la pluie et les vents, figée par la neige, veillée par les arbres sur la crête, là-haut, d’où l’on peut observer ses fenêtres et parfois, ses habitants. La plume d’Elizabeth Brundage vous plonge les pieds dans la terre et souffle un air glacé dans vos cheveux.
« La maison avait quelque chose d’étrange. »
Vous êtes inquiet ? Vous pouvez l’être. L’âpreté des paysages n’est qu’un préambule.
Des personnages complexes
Sur ces terres moroses évoluent des personnages dont on ne perçoit d’abord que la surface : leur situation familiale ou financière, un peu de leur histoire, un peu de leurs envies. Vous y croiserez des femmes lassées de ne pas être libres et rêvant d’indépendance en cette fin des années 70. Des étudiants hésitants, des jeunes avides d’échapper à leur milieu. Des fermiers ruinés côtoyant les nouveaux riches venus de la grande ville.
Et puis, lentement, l’auteure se met à creuser. Elle s’enfonce dans l’épaisseur des personnages, explore leur psychologie, tente de voir « dans les angles morts ».
« (…) en voyant la femme qu’elle était, sous celle qu’il connaissait comme sa mère, il avait eu peur. »
Elle révèle ce qui se trouve au-delà. Des apparences, de la bienséance, des conventions. De ce que l’on accepte de montrer. De la vie terrestre parfois. Vous n’êtes pas à l’abri de croiser un fantôme entre ces pages.
Vous verrez alors apparaître un vrai méchant, se jouant des autres, masquant sa perversité, composant avec sa vulnérabilité. Un vrai méchant à vous glacer les sangs car il est de ceux qui trop souvent hantent la réalité.
« Les gens ordinaires abritent en eux des démons. »
Qui a tué Catherine Clare ?
Difficulté de lecture : **
Dans les angles morts est pour vous si :
- Vous aimez les personnages fouillés et terriblement bien construits ;
- Vous aimez les romans riches, qui évoquent des thèmes multiples sans pour autant se diluer ;
- Vous voulez découvrir ce que l’on ne voit pas.
Le petit plus : pour l’aspirant écrivain, ce roman est un bon exemple de jeu sur les points de vue. Les mêmes événements perçus par différents personnages, passés au filtre de leurs émotions, revisités, édulcorés parfois par ceux qui ne veulent pas tout dire ou tout comprendre… Un bel exercice de style.
L’ouvrage fait partie de la sélection de « Secrets d’Auteurs », box littéraire et magazine offrant un éclairage intéressant sur les livres proposés. Cet opus est particulièrement intéressant : vous y entendrez les voix de l’auteure, de la traductrice (Cécile Arnaud) et de l’éditrice française (Alice Déon).
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Editions Quai Voltaire / La Table Ronde, 2018, pour la traduction française
ISBN : 978-2-7103-8381-9
528 pages
Littérature américaine
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Arnaud
Titre original : All Things Cease to Appear
Elizabeth Brundage est américaine et Dans les angles morts est son quatrième roman, le premier traduit en Français. Elle vit aujourd’hui près d’Albany dans l’état de New-York.
Très bon polar, mais pas que ça ! L’histoire d’une vie…A lire !!!
Oui, voire même plusieurs vies !