De pierre et d’os est un petit bijou venu du Grand Nord. Ce roman de Bérangère Cournut offre un captivant mélange de poésie et de dépaysement. Le lecteur marche sur la glace aux côtés d’Uqsuralik, une jeune femme inuit, soudain séparée des siens par une brusque fracture de la banquise. Nous la suivons dans le froid arctique alors qu’elle s’avance, déterminée à survivre et trouver un nouveau foyer. Commence un long parcours initiatique, une quête de sagesse et de liberté, entre traditions et conditions extrêmes.
Perte de repères
Avant de lire De pierre et d’os, je ne connaissais rien à la culture inuit, si ce n’est quelques lieux communs parlant d’igloos ou d’esquimaux. J’ignorais que la banquise pouvait soudainement craquer et emmener hommes et bêtes à la dérive. Je ne savais rien du maniement du kayak ni de la chasse au harpon. Je n’avais jamais entendu aucun des chants récités par les peuples de la toundra.
En nous contant son histoire, Uqsuralik nous fait entrer dans l’inconnu, un monde de rites étranges inspirés par la nature, habité par les esprits autant que les humains. Pour apprécier la beauté de cette lecture, il faut accepter ce qui est différent pour l’observer. Admettre que ces règles étranges qui régissent la société inuit ont leur propre logique. Laissez-vous imprégner : après un temps, vous les trouverez harmonieuses. Elles décrivent une vie rude mais pleine de sens.
« Je crains aussi de chasser sur la toundra, car toutes les armes que je possède – ma lance, mon couteau, mon harpon – ont servi récemment à tuer des animaux marins. Si je touche un animal terrestre avec ça, je vais mettre son esprit en colère. Je préfère encore mourir de faim. »
Il faut accepter de ne pas toujours comprendre. Impossible d’appréhender certains épisodes du voyage d’Uqsuralik avec notre imaginaire d’occidentaux. La poésie de ces pages reste parfois hermétique mais elle berce le lecteur qui se prête au jeu et se laisse porter sans en maîtriser le courant.
Travail titanesque
Au cours de cette immersion je me suis interrogée sur l’auteure. Elle semble si bien connaître le grand Nord et les Inuit. Son nom pourtant sonne si français, francophone, européen ? Peut-elle a-t-elle quelques ancêtres chamanes en Alaska, en Laponie, au Groenland ?
Elle a brouillé les pistes. La banquise dont elle parle n’a ni époque, ni nationalité. Mais De pierre et d’os regorge de références à la culture inuit et au cercle polaire. Celles qui nous sont plus ou moins familières, les paysages blancs, les chiens de traîneau, la traîtrise des icebergs. Mais aussi un millier d’autres détails bien moins évidents : l’allure des campements, les outils de chasse et de pêche, les espèces d’oiseaux et de poissons, les objets rituels, les tabous, les prénoms, vêtements, ustensiles.
Le livre m’a réservé une ultime surprise : Bérangère Cournut n’a jamais vécu chez les Inuit mais elle a tout lu à leur sujet. C’est ce qu’elle explique au moment d’introduire le carnet de photographies qui clôt le roman. De vraies photos exhumées des archives du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Ainsi ce portrait de Magito, jeune femme inuit immortalisée au tout début du XXe siècle. A-t-elle vécu ce qu’a vécu Uqsuralik ?
Source d’empathie
Il y aurait beaucoup à dire à propos du roman et des thèmes qu’il aborde.
Ce que j’en retiens surtout, c’est cette formidable ouverture sur l’autre. Le livre joue son rôle : proposer la découverte d’idées, croyances, modes de vie différents. Il permet d’apprivoiser ce que l’on ne comprend pas. Plutôt que chercher à le détruire. Il montre ce qui existe de meilleur en chacun. Et toutes ses imperfections. En nous parlant de l’autre, il nous renvoie à nous-mêmes.
Qui voudrait « assimiler » les Inuit après avoir lu un tel roman ? Qui voudrait que fonde la banquise ?
De pierre et d’os est pour vous si :
- Vous voulez entendre la neige crisser sous vos pas ;
- L’anthropologie vous intéresse ;
- Vous aimez des formes d’écriture originales.
Difficulté de lecture : **
Le petit plus : la jolie couverture de cette édition, le format du livre, son toucher mat, la qualité de son papier. Un objet que l’on a très envie de conserver longtemps dans sa bibliothèque.
Pour en savoir plus : le magazine édité par la box littéraire Secrets d’auteurs et comportant une interview exclusive de Bérengère Cournut.
Retrouvez enfin l’auteure dans un extrait de l’émission « La grande librairie » posté sur le site des éditions Le Tripode.
De pierre et d’os m’a fait penser à cet autre roman, lu peu de temps auparavant : tigre ! tigre !, de Mochtar Luis. Il s’agit également d’une histoire de survie se déroulant cette fois dans l’île de Sumatra.
Cinq hommes se retrouvent traqués par un tigre au beau milieu d’une jungle sauvage. Sous l’effet de la peur se révèlent les faiblesses. Autre climat, autres coutumes, mais pour le lecteur, même leçon d’humanité…
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De pierre et d’os – Bérangère Cournut
Éditions Le Tripode, 2019
ISBN : 978-2-37055-212-9
219 pages
Prix du roman Fnac 2019
Littérature française
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tigre ! tigre ! – Mochtar Lubis
Éditions du Sonneur, 2019
ISBN : 978-2-37385-170-0
217 pages
Traduit de l’indonésien par Étienne Naveau
Littérature indonésienne
Merci Laetitia pour cette découverte qui me tente vraiment beaucoup, surtout que je suis toujours attirée vers la culture des Inuits depuis bien longtemps. L’anthropologie est une discipline tellement passionnante, surtout quand les auteurs savent nous faire partager leurs aventures.
Avec plaisir Christine ! Tu devrais apprécier ce livre qui est aussi très poétique. Je suis sûre qu’il pourrait t’inspirer !