Voici un livre qui m’a perturbée. Parce qu’il y est question de violence ? Non, pas vraiment. La violence, on la voit souvent, les médias la relaient, les films ou les livres la décortiquent, les réseaux sociaux l’exposent.
Non. Il s’agit plutôt de la forme et du travail d’écriture. Je suis d’abord surprise, puis je déteste, puis j’apprécie. Puis je m’interroge.
Je me pose l’inévitable question idiote : « est-ce qu’Edouard Louis raconte vraiment son histoire ? Est-ce véridique ? » Comme toujours, je fais un tour sur Internet. Et là, c’est l’avalanche de publications aux titres racoleurs. Il semble que la polémique ait enflé au moment de la sortie du livre. J’ai bien fait d’attendre que le soufflet retombe.
Je consulte rapidement l’article à sensation d’un journaliste : les médias se sont infiltrés dans le village natal d’Edouard Louis pour interroger sa famille. L’auteur répond fermement sur son blog. Le livre est un roman. Ne peut-on apprécier l’exercice littéraire sans chercher plus loin ? Etc.
Je ferme le navigateur Internet et décide de vous livrer mes impressions de lecture, telles quelles. Celles d’une lectrice totalement ignorante des codes du monde littéraire officiel.
Le livre s’ouvre donc sur une souffrance. La souffrance d’un garçon battu chaque jour au collège en raison de ses manières efféminées. Un gamin ne trouvant aucun réconfort auprès d’une famille engluée dans une effrayante misère sociale. Entre une grand-mère se nourrissant de pâtée pour chien, un père alcoolique accro à la « Roue de la Fortune », et une mère désabusée, Eddy semble ne pas avoir d’avenir.
Quelle compilation d’horreurs et de désespoirs ! Ma première réaction est de penser qu’un tel tableau n’existe pas. C’est exagéré. C’est impossible. Pourtant, au hasard de conversations, dans les bistrots ou au supermarché, j’ai déjà entendu quelques unes de ces phrases crues écrites en italiques au long du roman. Ces propos violents, humiliants, racistes, ou simplement résignés. Presque mot pour mot. Ma commune n’a rien de l’abominable village picard décrit dans le livre. Mais les clichés sont les mêmes partout.
Alors, peut-être l’auteur a-t-il un peu forcé le trait, concentré le négatif pour en extraire l’essentiel ? Là n’est pas l’essentiel.
Le roman décrit très efficacement la difficulté, presque l’impossibilité à s’extraire de son milieu d’origine lorsqu’on est formaté par ses dogmes. La famille d’Eddy tourne en rond dans sa cage délabrée, impuissante, parfois honteuse, souvent résignée.
« C’est une femme en colère, cependant elle ne sait pas quoi faire de cette haine qui ne la quitte jamais. »
D’ailleurs, le premier réflexe d’Eddy n’est pas de s’enfuir. Il aimerait simplement être accepté dans son propre écosystème :
« A cet âge, réussir aurait voulu dire être comme les autres. »
Car il présente le « handicap » supplémentaire d’aimer les garçons. La belle affaire ! On ne le lui pardonne pas. Chez lui, il faut « être un dur ». Sous peine de subir les plus terribles des humiliations.
S’en sortira-t-il ? C’est son parcours, ce long cheminement vers une autre vie que raconte le livre. Une autre vie. Vraiment ? Au lecteur d’imaginer la suite.
Finalement, pourquoi ai-je donc été si perturbée ?
Sans doute en raison de l’accumulation d’autant de souffrances en si peu de pages. Malaise voulu par l’auteur, à n’en pas douter.
Et puis le style, étrange, qui, dans certains paragraphes, semble mal maîtrisé tout en servant si bien le récit. « M’enfin, c’est quoi ces phrases économes en ponctuation ? Pourquoi les dialogues sont-ils insérés au cœur des phrases ? Pourquoi passe-t-il soudain au présent, ça a rapport aux coups qu’il reçoit ? Pourquoi ces enchaînements pêle-mêle d’idées et de flash back ? »
Il me semble qu’en réalité, chaque rupture dans les phrases ou les chapitres, chaque absence de virgule est voulue. Les pages reflètent les réflexions d’un homme qui se remémore, digresse, cherche à comprendre, entend ses souvenirs et les paroles prononcées. Et les restitue par écrit. Sans filtre.
En résumé, Eddy, ou peut-être Louis, m’a convaincue au fil des pages, pour me donner l’envie d’écrire cette chronique, et vous la transmettre.
Difficulté de lecture : **
Ce livre est pour vous si :
- Vous aimez les livres atypiques
- Vous êtes intéressé par les problèmes de société
- Vous n’avez pas peur des paroles crues
La définition : « Autofiction » C’est le genre dans lequel « En finir avec Eddy Bellegueule » est souvent classé. Mr Larousse nous dit : « autobiographie empruntant les formes narratives de la fiction ».
Pour aller plus loin : sur la quatrième de couverture, on peut lire le commentaire d’Annie Ernaux « D’une force et d’une vérité bouleversantes ». Cet auteur est reconnu pour ses livres autobiographiques. Dans un style différent, « Les armoires vides » présente certaines similitudes avec le roman d’Edouard Louis. Elle y parle de son enfance et surtout de sa rupture avec son milieu social en décalage avec ses propres aspirations. A lire si le sujet vous intéresse (difficulté de lecture ***)
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Paru aux éditions du Seuil, 2014
ISBN : 978-2-7578-5297-2
204 pages