Les Croix de bois : vivre la guerre au fond d’une tranchée…
Que savez-vous de la première guerre mondiale ? Difficile d’imaginer l’horreur de ces quatre années à un siècle d’intervalle. Et pourtant, les archives sont nombreuses. Commémorations, films, expositions se sont succédé depuis plus de cent ans. Roland Dorgeles est un témoin direct. Engagé volontaire en 1914, il nous livre, dans les Croix de bois, une description ultra-réaliste de ce qu’ont vécu les Poilus de l’époque. Un message simple adressé aux hommes d’hier et d’aujourd’hui.
Comment appréhender toute l’horreur de la guerre ?
Il est sans doute facile de retracer le déroulement d’un conflit ou d’en exposer les faits. Mais comment en saisir la laideur ? Impossible de comprendre sans l’avoir vécue, nous dit-on. Dans son roman, l’auteur nous ouvre pourtant les yeux sur la vraie nature de la guerre. Par l’habileté de ses mots, il emmène le lecteur au plus près des soldats.
L’universalité
Le roman débute avec l’arrivée d’un groupe de bleus sur le front. On suit leur installation, leur intégration, leur baptême du feu. Le narrateur, Jacques Larcher, écrivain, est l’un d’eux. Nous sommes dans un village de France situé dans la zone de combats. Aucune indication précise quant au lieu exact ou à la période. 1915 sans doute. Mais cela importe peu. Les scènes décrites par l’auteur se sont produites inlassablement le long de l’immense ligne de front, figée dans la boue année après année. Tous les Poilus auront pu s’y reconnaître. Et le récit de résonner dans le cœur ou la mémoire de quiconque ayant recueilli leurs témoignages…
Le style
Et puis les jours s’organisent, alternativement à l’arrière et dans les tranchées. Le quotidien des soldats est décrit avec précision, sans que rien ne soit omis, des faits de bravoure aux épisodes cocasses que la guerre provoque parfois. Le lecteur est immédiatement embarqué, il va accompagner l’escouade comme s’il en faisait partie. L’auteur fait appel aux cinq sens. On sent l’odeur qui règne dans l’écurie reconvertie en abri de fortune, on frissonne sous la pluie, on entend le vacarme des combats. Sur le front, le vocabulaire se fait plus incisif : ça crépite, ça pioche, ça arrache, broie ou écrase. N’oubliez pas de baisser la tête, sous peine de prendre une balle perdue.
Les personnages
Au fil des pages, vous ferez la connaissance de Fouillard, Bouffioux, Sulphart et les autres. Vous croiserez le planqué, prêt à tout pour échapper au front, le soldat éploré guettant une lettre de sa fiancée, ou bien la grande gueule qui n’hésite pas à critiquer l’autorité militaire. Les origines sociales et géographiques s’entremêlent dans les difficultés et les angoisses quotidiennes. Des hommes attachants par leurs faiblesses, que l’emploi de l’argot rapproche encore du lecteur. Au fil des pages, ils deviennent vos camarades de tranchées et vous maudissez la mort qui les emporte l’un après l’autre. Il en reste bien peu au dernier chapitre…
La guerre est une chose violente et absurde
Vous voilà plongé au cœur du conflit. Les reproches insensés des gradés vous exaspèrent ; leurs décisions déraisonnables vous révoltent. Le premier contact avec la tranchée est un crescendo vers l’horreur. Les bleus perdent leur naïveté. La guerre n’est pas une épopée romantique. Le spectacle grandiose des premières salves d’artillerie se transforme rapidement en une boucherie monstrueuse.
La vie et la mort se confondent. Les cadavres gisent sur la terre et les vivants dorment dans des tombeaux. Les deux mondes se mêlent et se côtoient, ceux qui ont survécu au dernier assaut ne sont qu’en sursis : « c’étaient les morts qui guidaient la patrouille, semblant se passer les vivants de main en main ». Et bientôt vous apercevez l’armée des Croix de bois, si nombreuses et plantées à la hâte. Des cimetières entiers, grossissant au fil des jours, se nourrissant de ces soldats qui les contemplent en avançant vers le front.
L’écriture de Roland Dorgelès se pare d’une poésie dramatique pour que le lecteur saisisse à quel point la guerre est avide de souffrances et de destructions.
Le seul miracle de la guerre
Finalement les chapitres passent et les soldats disparaissent. Quelques-uns pourtant en réchappent et rentrent au pays. Bientôt viendra le temps du bilan. Le temps de l’oubli également, car la vie reprendra ses droits. « L’image du soldat disparu s’effacera lentement dans le cœur consolé de ceux qu’ils aimaient. »
Le message de Roland Dorgelès est résolument pacifiste. Les Croix de bois est considéré comme son chef d’œuvre mais il prendra encore plusieurs fois la plume pour dénoncer la guerre et ses instigateurs. Le roman parle des Poilus, de leur mort et de ce qu’ils ont vécu. Il ne s’agit pas de décrire le conflit en lui-même. Qu’importent les causes proclamées de la boucherie. Qu’importent son issue et le vainqueur, s’il existe. Qu’importent l’héroïsme ou la trahison. Cela, les soldats l’ont bien compris et l’auteur le résume dans la conclusion : le seul miracle de la guerre est d’en sortir vivant.
Ce roman a été pour moi une révélation. De la première guerre mondiale, je ne savais que ce qu’on m’en avait appris à l’école. Autant dire, rien. Des dates et des mots devenus les symboles du conflit. Quelques échos et paroles entendues qui sonnaient un peu creux. Rien ne m’avait préparée à contempler ces Croix de bois et comprendre ce qu’elles signifiaient vraiment.
Les Croix de bois est pour vous si :
Eh bien, cette fois, je pense que ce livre est pour tout le monde ! En tout cas, tout adulte désireux de connaître son passé.
Pour d’autres ouvrages liés à la première guerre mondiale, je vous propose de lire l’article sur Au revoir là-haut, de Pierre Lemaitre.
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Les Croix de bois – Roland Dorgelès
Editions Albin Michel, 1919 (1ère publication)
ISBN : 978-2-253-00313-7
287 pages
Prix Femina en 1919
Littérature française
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