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J’ai acheté ce livre il y a fort longtemps, parce que j’aime l’Histoire et que les empereurs romains me semblaient balayer toute la gamme des comportements humains, de la pire folie à la plus admirable clémence. Le livre a mûri des années dans une pile, car quand même, pour lire un classique, il faut du temps et le bon état d’esprit. La lassitude des fins de journée me portait plutôt vers les thrillers et les romans faciles.

Et puis, le fait de lancer et alimenter ce blog m’a conduite à revisiter mes réserves de lecture. L’envie de découvrir l’empereur Hadrien et l’académicienne Yourcenar était intacte. L’œuvre m’a offert deux belles rencontres.

Hadrien

Rencontre avec Hadrien, empereur romain connu pour son esprit et ses réalisations. L’homme est diablement intelligent, féru d’architecture, d’arts et de lettres, passionné par la culture grecque, habile pour mener la guerre et surdoué pour conclure la paix.

Le livre est une lettre présumée qu’il écrit à son successeur (le futur Marc Aurèle), dans laquelle il transmet ses réflexions, partage ses motivations, retrace les grandes étapes de sa vie et en fait le bilan.

Hadrien a œuvré pour Athènes qu’il adore, Rome et son empire. Il a parcouru ce dernier pendant ses vingt ans de règne, y réglant les problèmes, construisant ici routes et aqueducs, érigeant là une ville entière ou bien y restaurant temples antiques. On lui doit notamment la forme actuelle du Panthéon de Rome, ce magnifique dôme percé en son sommet et dédié à tous les Dieux. Il fut à l’origine du château Saint-Ange, dans la même ville, qui devint, dans sa forme primitive, son mausolée.

Il réforma le code romain, le clarifia, améliora la condition des esclaves, des femmes ou des classes dites inférieures.

« Une partie de nos maux provient de ce que trop d’hommes sont honteusement riches, ou désespérément pauvres. »

Mais son objectif essentiel était sans conteste d’établir et pérenniser la paix au sein de l’empire. La fameuse Pax Romana. Sa première action fut de stopper la politique conquérante de son prédécesseur Trajan, d’abandonner les territoires impossibles à sécuriser, figer les frontières et établir de bonnes relations avec les voisins immédiats.

Alors c’est vrai, il a construit un mur. Le célèbre « mur d’Hadrien » à l’actuelle jonction entre l’Angleterre et l’Ecosse. Il a également renforcé les fortifications d’Europe centrale. Mais ces constructions semblent moins agressives que certains murs tristement actuels. Il s’agissait avant tout de sauvegarder la paix, et parfois même, de donner une base aux échanges avec les populations qui vivaient au-delà. S’il fallait une guerre, elle ne serait que défensive.

« Ce rempart devient l’emblème de mon renoncement à la politique de conquête »

Bien sûr, Hadrien fut empereur. Empereur romain. Ce qui le rendit souvent autoritaire, voire rancunier et cruel. Ne nous trompons pas d’époque. Il élimina certains rivaux d’une manière fort peu louable. Vers la fin de son règne, il combattit sans pitié les juifs de Jérusalem, n’étant pas acquis au monothéisme et lui préférant la liberté de culte, qu’il soit antique ou plus récent.

« Je ne le nie pas : cette guerre de Judée était un de mes échecs (…) je n’avais pas su être à temps assez souple ou assez ferme. »

Mais à l’heure de désigner son successeur, il eut à cœur de choisir un homme qui poursuivrait son action pacifique. La guerre reviendrait encore et encore dans le futur, mais il espérait qu’elle alternerait avec des périodes de paix salutaires.

J’ai découvert dans ce livre une sagesse humaniste et éclairée, une lucidité appliquées à toutes les étapes de la vie, jusqu’à la plus ultime.

« Je suis comme nos sculpteurs : l’humain me satisfait ; j’y trouve tout, jusqu’à l’éternel. »

Sont-elles réellement celles d’Hadrien ? Ou ont-elles été adroitement remodelées par l’auteur ?

Question légitime. C’est là qu’intervient la deuxième rencontre.

Marguerite Yourcenar

Je ne connaissais d’elle que son nom.

J’ai rencontré son écriture, qui emprunte aux styles d’antan sans s’encombrer de leurs lourdeurs. Aucun cliché dans ses lignes, mais des phrases incroyablement précises, qui marquent l’esprit et sont souvent d’une grande poésie.

J’ai perçu l’immense travail de recherche derrière cette œuvre. Hadrien a vécu au IIe siècle de notre ère. Les informations à son sujet sont donc peu nombreuses et obscures au profane. Une note, à la fin du livre, indique les sources utilisées par l’auteur. Elles sont très diverses, allant d’œuvres anciennes évoquant Hadrien directement ou non, aux inscriptions et sculptures que l’empire a laissé sur ses bas-reliefs. Un travail de fourmi donc, qui a permis à Marguerite Yourcenar d’être au plus près de l’empereur, et le pousser à parler, penser, se souvenir et réfléchir comme il aurait pu le faire.

A la suite des « Mémoires d’Hadrien », l’édition Folio propose les carnets de notes de l’auteur qui y expose ses doutes et ses interrogations, ainsi que la genèse du livre. Une mine d’or pour qui s’intéresse à l’exercice difficile de la biographie.

« Quoi qu’on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c’est déjà beaucoup de n’employer que des pierres authentiques. »

Vous l’aurez compris, ce classique est un coup de cœur. Pas facile à lire, certes. Mais tellement riche. J’ai pris soin de relever la bibliographie de Marguerite Yourcenar afin de ne pas en rester là…

Si vous avez lu ces « Mémoires d’Hadrien » n’hésitez pas à partager votre expérience dans les commentaires. Que vous ayez aimé ou non. Je ne suis pas aussi intransigeante qu’un empereur romain.

Difficulté de lecture : ***

Ce livre est pour vous si :

  • Vous aimez la grande Histoire
  • Vous vous sentez l’âme humaniste
  • Vous aimez la belle écriture, celle qui résiste un peu, puis vous comble de plaisirs littéraires

***

Paru aux éditions Gallimard en 1974

(Librairie Plon en 1958 pour la première édition)

ISBN : 978-2-07-036921-8

364 pages